Le regard et son double
Le regard double, le double regard, le double du regard
Les images influencent et déterminent grandement nos modes de vie et nos échanges : images de toutes sortes et de toute nature ; images informatives, lucratives, esthétiques, symboliques, populaires, élitistes ; le monde est gouverné par les images et les représentations.
De tous temps, les images ont porté à conséquence et/ou ont été interdites (par les religions en particulier) et c’est encore le cas aujourd’hui ; toutes ces images qui ‘passent à la trappe’ des censeurs modernes sont des images réputées dangereuses par les groupes de puissances auxquelles elles désirent s’opposer ; en tout cela, on comprend bien que les images ont (et ont toujours eu) un pouvoir de nuisance, réel ou supposé, mais perçu comme dangereux ou menaçant par ceux qui sont en charge de diriger les politiques publiques et la vie sociale.
Dans ces conditions, rien d’étonnant à ce que beaucoup de choses s’insinuent vivement par l’œil pour séduire clandestinement les esprits, jusqu’à causer parfois des perturbations, individuelles et collectives.
Dans les mêmes proportions, mais à l’inverse (la concordance ou la coïncidence des contraires), des images, choisies à cet effet, peuvent aussi engendrer des sentiments bienveillants, des émotions positives et réconfortantes, un lien d’évolution plutôt que d’involution. C’est dans ce registre que travaille Marcel Dhoye, dans l’amabilité, avec une certaine joie, des dispositions avenantes, portées par un brin d’humour vers des subtilités émouvantes. Cela vient autant de son travail sur l’image que de sa réflexion sur le regard ; quelque chose comme une ‘philosophie dans le miroir’.
Les images sont véhiculées dans les individus par le regard, à la fois réceptacle et transmetteur de l’influx sensoriel perçu par notre cerveau. Ce regard, comme on pourrait peut-être se l’imaginer, n’est pas un phénomène passif ; il est interactionnel et implique de multiples liens.
D’abord, le regard est double, lorsqu’il s’agit du lien entre le voyant et le vu. Ce que l’on voit nous voit ; il n’y a pas de regard à sens unique ; le lien est d’yeux réciproques. Des liaisons s’établissent entre le vu et le voyant, comme au sein d’atomes le noyau avec ses électrons. Le regard lie, par une sorte de fascination : le mot fascination a le même sens que charme, sort, lien (précisément).
Notre regard est en même temps le regard de l’autre, avec ce petit décalage qui permet la reconstruction de l’image à la méthode Vinci, en déplaçant légèrement le regard du regardé vers le regardant (d’où cette œillade que vous adresse la Joconde avec son sourire énigmatique).
Ensuite le double regard : voir ensemble, en compagnie d’un autre voyant, une même forme extérieure ; voir et comparer, échanger, mélanger les perceptions des sens, évoquer un sentiment commun, mesurer, évaluer, partager le lien de la découverte et de la nouveauté (dans une église lombarde en compagnie d’un ami par exemple). C’est un double lien triangulé.
Enfin, le double du regard : c’est le regard intérieur, la pénétration en-soi, la réflexion, la vision plus haute que l’œil, celle de l’esprit, intellective, supranaturelle ; cette perception intérieure est un double de notre œil, permettant la réception de l’image dans les sphères de la réflexion et de la conscience, et plus seulement en tant qu’influx nerveux, mais comme trace mnésique ; vient ensuite la nécessaire période de sa macération, de son infusion dans l’âme, en vue de son intégration à l’être qui l’a reçue, à des fins de connaissance et d’élévation.
Ce regard-là est essentiel, il est l’aboutissement, la synthèse, la sublimation des deux autres.
C’est dans cette voie, celle de ce double du regard, qu’il faut s’aventurer pour découvrir ‘en profondeur’ les images de Marcel Dhoye, leur sens secret, mystérieux, empreint de magie, de symboles en filigrane et de bien d’autres contenus cachés mais révélateurs.
C’est la voie pour comprendre le lent et savant travail du mage-peintre traditionnel, qui, pour ésotérique qu’il soit, s’appliquant à communiquer avec la ‘vraie nature’, tente, par la méditation et l’imagination, de ‘révéler’ la substance de l’âme, l’essence même de l’être, une image du monde.